Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/65

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l’autre depuis l’enfance ; les raisons qui avaient fait renoncer au projet de me marier avec lui n’existaient plus ; il avait presque achevé de payer les dettes de son père, il allait avoir vingt-cinq ans, et on n’avait que du bien à dire de lui sous tous les rapports. Il possédait alors trente mille livres de rentes, et devait hériter de sa grand’mère, qui en avait cinquante mille. Il vint nous voir, et maman nous dit séparément que nous étions libres de nous épouser, si nous le voulions. Nous ne connaissions nos cœurs ni l’un ni l’autre, mais sitôt qu’il eut l’espoir de m’épouser, ses sentiments se réveillèrent avec plus de vivacité que jamais, et il profita de la permission qu’il avait enfin obtenue, pour m’en parler pour la première fois de sa vie. Je sentis bien vite que je n’avais pas cessé de l’aimer : je l’avouai à maman, qui le lui dit, et en moins de huit jours, notre union fut décidée, et nous fûmes les deux êtres les plus heureux de la terre.

Nous apprîmes que le Roi était parti de Paris, et avait été arrêté à Varennes, M. de Lescure nous quitta pour aller en Poitou ; il était à cette époque d’une coalition bien importante, qui s’élevait à trente mille hommes, sans comprendre les gens du pays, sur lesquels on pouvait absolument compter, comme ils l’ont bien prouvé depuis. L’organisation s’étendait à plusieurs provinces ; on avait gagné deux régiments : l’un, qui était à la Rochelle, devait au jour convenu marcher sur Poitiers, en supposant des ordres ; le second, qui était dans cette dernière ville, devait se porter en avant sur le chemin de Lyon où d’autres fidèles attendaient les princes, alors en Savoie. La rapidité du départ et de l’arrestation du Roi empêchèrent de rien faire pour le moment, et M. de Lescure revint. Il partit peu après pour émigrer, comme l’avait fait toute la noblesse du pays, qui commit en cela une grande folie. Loin d’être poursuivi dans ses terres comme les autres gentilshommes, chaque seigneur était ou municipal ou commandant de la garde