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nationale de sa paroisse, et les paysans leur demandaient chaque jour s’ils voulaient prendre les armes contre les patriotes. Les princes connaissaient la coalition, l’approuvaient et désiraient que ceux qui en étaient n’émigrassent pas ; mais les jeunes gens voulurent imiter le reste de la noblesse ; on eut beau leur représenter la différence qui existait entre leur position respective, envoyer deux personnes aux princes pour leur demander de nouveaux ordres et engager les jeunes gens à attendre leur réponse, rien ne put les arrêter : ils partirent en foule ; leur exemple entraîna les chefs, et l’organisation se trouva dissoute. M. de Lescure le sachant, se mit en route avec son cousin le comte de Lorge[1], fils aîné de mon oncle ; ils coururent l’un et l’autre beaucoup de risques ; ils furent arrêtés aux frontières peu de jours avant que le Roi n’acceptât la Constitution ; ils furent obligés de faire beaucoup de chemin à pied, armés, avec les contrebandiers qui leur servaient de guides.

Le lendemain de l’arrivée de M. de Lescure à Tournay, il apprit que sa respectable grand’mère venait de tomber d’apoplexie et touchait à son dernier moment ; il demanda aux chefs des émigrés la permission de revenir en Poitou, et se rendit en poste auprès d’elle. Il y resta une quinzaine ; alors voyant que sa maladie se prolongeait et donnait quelque espoir, il repartit pour émigrer. Il voulut, avant, venir me voir et passer seulement vingt-quatre heures en Médoc ; il faillit périr à Blaye : s’étant embarqué trois fois à force d’argent, malgré les matelots qui lui disaient que le passage était impraticable, il fut jeté trois fois à la côte et obligé de remonter par Bordeaux. Maman avait reçu une lettre du comte de Mercy-Argenteau[2], son ami intime, ambas-

  1. Guy-Émeric-Anne de Durfort, né à Paris le 25 juin 1767, comte de Lorge, puis duc de Civrac, duc de Lorge et pair de France. Colonel de cavalerie à la Restauration, chevalier de Saint-Louis, président du conseil général du Loiret. Il se retira en 1830 et mourut à son château de Fonspertuis, près Beaugency, le 6 octobre 1837.
  2. Florimond-Claude de Mercy-Argenteau, né à Liège le 20 avril 1727 (et non en 1722, comme le disent les biographes : son père se maria le 19 juin 1726).