Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/70

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santé et j’avais recommandé qu’on lui servît toujours rasade. Il s’y prêta d’abord, mais après quelques verres, il me dit : « Ma petite reine, vous êtes bien jeune, je vois que vous voulez m’enivrer ; vous pensez que, toujours gai, je le serai encore plus, et cela vous divertira. Je ne suis pas venu à mon âge, et officier de marine, sans savoir comment je porte le vin ; mais, à force de boire, je serais ivre, qu’arriverait-il ? Au lieu d’être aimable et de vous faire rire, je serais malade, puis je m’endormirais. À présent, ordonnez, ma petite reine, et, si cela peut vous plaire, je boirai tant que vous voudrez. » On sent bien que je l’en dispensai, et je lui fis mes excuses.

[Malgré sa forte santé, M. de Marigny n’avait pu s’accoutumer à la mer : il y était toujours malade, cependant il n’avait jamais cessé de combattre jusqu’à la paix ; depuis, il ne s’embarquait plus et s’occupait à Rochefort de la construction et de l’artillerie : il était devenu un officier des plus instruits. C’est lui qui a fait établir les jetées aux Sables-d’Olonne.

[L’ambition de M. de Marigny se bornait, quand le Roi serait remis sur le trône, à demander dans les troupes de terre le grade de lieutenant-colonel, qui répondait à celui qu’il avait dans la marine, il n’avait pas l’idée de demander rien de plus : il me l’a dit à la Boulaye, pendant la guerre. Il ajoutait plaisamment : « J’ai beau aller au combat sur mer, sur terre, je n’ai jamais reçu aucune égratignure ; je suis pourtant bien grand et gros, et, s’il vole un grain de poussière, je suis sûr qu’il m’arrive dans les yeux, quoique je les aie bien petits. »]

Je me suis étendu sur le compte de M. de Marigny, parce que j’aurai souvent à parler de lui.

Au mois de février 1792, nous partons pour Paris avec l’intention d’émigrer ; nous partagions bien l’imprévoyance générale : croira-t-on qu’avec quatre-vingt mille livres de rentes, nous n’emportions que huit mille livres et pas une lettre de crédit ? M. de Lescure continuait à n’être occupé que de payer