Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/84

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s’y étaient rendus pour apporter nos effets les plus précieux que je leur avais confiés ; ils avaient eu le courage de passer, courant mille risques, car le peuple tuait les voleurs et les aurait pris pour tels, s’ils eussent été arrêtés. Nous les chargeons d’aller dire à maman que nous sommes sauvés ; ils nous avaient appris qu’elle l’était, ainsi que mon père ; mais, par peur ou par impossibilité, ils n’allèrent pas l’avertir. Mon pauvre père, mourant d’inquiétude pour moi, ressortit, courut une partie de la nuit dans la ville, me cherchant, et retourna auprès de maman ; ils passèrent la nuit dans les plus cruelles angoisses, craignant que je n’eusse péri ; le lendemain matin ils apprirent que j’étais en sûreté.

Nos autres domestiques allèrent demander asile à leurs connaissances ; ils avaient fui de l’hôtel, nous leur avions, avant de partir, distribué de l’argent, ne croyant pas pouvoir nous échapper. Deux ou trois femmes osèrent rester dans l’hôtel ; on fit sauver le Suisse de la porte. Une de mes femmes de chambre, Agathe, dont j’aurai occasion de parler dans la suite, vit tuer un homme d’un coup de fusil à côté d’elle, en revenant de porter des habits à un garde suisse. On massacra toute la nuit des Suisses dans notre rue et dans la rue voisine, où était aussi une section ; c’était affreux. Le lendemain matin on continua dans beaucoup d’endroits ; deux personnes furent tuées près de M. de Lescure ; il était sorti malgré moi, pour savoir des nouvelles de quelques-uns de ses amis.

Nous restâmes une semaine dans nos asiles, nous allions nous voir, maman et moi, habillées en femmes du peuple. Un jour, en revenant de chez elle, j’eus une peur horrible ; je donnais le bras à M. de Lescure, déguisé aussi ; nous étions devant un corps de garde, une quarantaine de volontaires étaient assis à la porte, ils élevèrent la voix en nous regardant, et un d’entre eux dit : « On voit passer beaucoup de chevaliers du poignard déguisés, mais on les reconnaît très bien. » Je crus que M. de