Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/93

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ni de rivière navigable ; la seule route est celle de Mortagne à Nantes ; le pays est en outre plein de gros rochers. On laisse reposer la terre très longtemps ; on sème des genêts dans les champs en friche, on les y laisse quelquefois jusqu’à dix ans, ils deviennent comme des bois taillis presque impénétrables[1].

On voit que ce pays est bien propre à faire la petite guerre ; ajoutez à cela qu’on trouve à tout moment quatre chemins, tous pareils ; ce sont des berceaux d’où on ne peut distinguer aucun objet ; la plupart des villages et les maisons sont dans les vallons, on ne les aperçoit pas de loin. Ce pays est très agreste et très pittoresque, mais il a un aspect sauvage ; il y a cependant des points de vue superbes. Il était fort peuplé. La richesse principale est en bestiaux et grains ; les denrées sont excellentes et à vil prix. Presque tous les seigneurs du pays étaient riches et vivaient dans leurs terres avant l’émigration, mais alors ils étaient presque tous sortis de France ; les paysans les adoraient et en étaient traités comme des enfants chéris.

Le peuple est essentiellement doux par caractère, entêté, hospitalier, bon, confiant, brave, gai, fort dévot, plein de respect pour les prêtres et les nobles ; il les aborde avec timidité, quoique toujours sûr d’en être bien reçu ; aussi cette timidité se change au bout d’un instant en familiarité, et on peut dire qu’ils traitent leur seigneur comme des enfants traitent leur père, avec respect et tendresse. Les paysans avaient les mœurs pures et simples, ils vivaient dans l’abondance, sans être riches, mais ils étaient

  1. Le Bocage ne ressemble plus guère à ce qu’il était autrefois. Maintenant, des routes stratégiques superbes le coupent dans tous les sens ; on y voit beaucoup de peupliers d’Italie, des bois blancs de toutes sortes, des arbres verts, etc. Tout cela y était inconnu jadis, à peine en trouvait-on dans les jardins de quelques châteaux. Les espèces d’arbres y étaient peu variées : chênes, ormeaux, châtaigniers, cerisiers, frênes, voilà tout. Sans cesse, des chemins couverts de genêts et d’ajoncs de douze, de quinze et jusqu’à vingt pieds de haut ; ces grands genêts, ces grands ajoncs n’existent plus ; les bourgs se bâtissent à la moderne ; enfin le Bocage n’est plus reconnaissable. Ces changements ont commencé après 1832. (Note de l’auteur.)