laissais Êlie dans la calèche avec un domestique, et m’en allais chevauchant sur un maigre bidet qui trébuchait tous les trois pas. Ainsi donc je faisais à pied la plus grande partie du chemin, en comptant à voix basse et sur mes dix doigts ce que me coûteraient ces dix ou douze jours de voyage ; combien un mois de séjour à Venise ; ce que j’aurais épargné à mon départ d’Italie ; combien ceci et combien cela ; et j’usais mon cœur et ma tête à ces misérables calculs.
J’avais fait marché avec le voiturin jusqu’à Bologne, en passant par Lorette ; mais j’arrivai à Lorette si ennuyé et l’ame si rétrécie, que je ne pus tenir plus long-temps à l’avarice et aux mules, et je renonçai tout-à-çoup à cette allure mortelle. La glace de mon avarice naissante ne put résister à l’impétueuse ardeur de mon caractère, et tomba devant l’impatience de la jeunesse. Je fis rondement une côte mal taillée, et, payant au voiturin à peu près tout ce qui avait été convenu pour le voyage de Rome à Bologne, je le plantai là au milieu de Lorette, et m’en allai par la poste, heureux de m’être reconquis tout entier. De ce moment, l’avarice se convertit chez moi en un ordre sévère, mais sans lésinerie.
Si Bologne ne m’avait guère plu en allant, au retour elle me plut peut-être moins encore. Lorette ne m’inspira aucun mouvement de dévotion, et ne soupirant qu’après Venise, dont j’avais ouï conter tant de merveilles depuis mon enfance, je m’arrêtai tout au plus un jour à Bologne, et continuai par