Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/124

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tout semblait fait pour me réjouir : une autre langue, d’autres usages, une autre architecture, des visages nouveaux ; et quoique la différence fût rarement à l’honneur du pays, néanmoins je trouvai du charme à cette légère variété. Je repartis bientôt pour Toulon, et à peine à Toulon, je voulus repartir pour Marseille, sans avoir rien vu à Toulon, dont l’aspect me déplut beaucoup. Il n’en fut pas ainsi de Marseille ; sa physionomie riante, ses rues neuves, propres et bien alignées, la beauté du cours, la beauté du port, la grâce piquante des jeunes filles, tout m’enchanta au premier abord. Je me déterminai vite à m’y arrêter presque un mois : ce fut aussi pour laisser passer les grandes chaleurs de juillet, qui sont un inconvénient en voyage. Il y avait chaque jour à l’hôtel une table ronde autour de laquelle je trouvais nombreuse compagnie à dîner et à souper, sans être condamné à parler (ce qui m’a toujours coûté des efforts, étant taciturne de ma nature), et je passais ensuite chez moi sans ennui les autres heures de la journée. Ma taciturnité, qui avait aussi sa source dans une sorte de timidité naturelle que je n’ai jamais pu surmonter entièrement, redoublait encore à cette table, grâce au verbiage sans fin des Français. Il y en avait là de toute espèce ; mais la plupart étaient des officiers ou des négocians. Je ne contractai avec aucun d’eux ni amitié ni familiarité, n’ayant jamais été en cela de nature facile et libérale.

Je les écoutais volontiers, quoique je n’en retirasse aucun fruit ; mais écouter est une chose qui