Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/133

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pour nous rendre à Calais. Le froid était si rigoureux, que dans notre calèche, étroitement close avec des glaces, et où nous tenions une bougie allumée, une nuit le pain gela et le vin aussi. Ce froid excessif me réjouissait, parce que de ma nature je n’aime pas les moyens termes.

Enfin, lorsque nous eûmes perdu de vue les côtes de la France, à peine étions-nous débarqués à Douvres, que ce froid nous parut moindre de moitié, et entre Douvres et Londres nous trouvâmes fort peu de neige. Autant Paris m’avait déplu au premier coup d’œil, autant me plurent subitement et l’Angleterre et Londres en particulier. Les rues, les hôtels, les chevaux, les femmes, le bien-être universel, la vie et l’activité de cette île, la propreté et la commodité des maisons, quoique très-petites, l’absence des mendians, ce mouvement perpétuel de l’argent et de l’industrie, également répandu dans la capitale et dans les provinces, en un mot, tout ce qui fait la gloire vraiment unique de cette heureuse et libre contrée, me ravirent l’ame tout d’abord, et deux autres voyages que j’y ai faits depuis n’ont rien changé à mon opinion. L’Angleterre diffère si complètement de tout le reste de l’Europe, dans toutes ces branches de la félicité publique qui procèdent de la supériorité du gouvernement ! Si je n’étudiai pas alors profondément la constitution qui donne à l’Angleterre une telle prospérité, je savais assez, du moins, en observer et en apprécier des divines conséquences.