Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/139

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route ensemble jusqu’à Maëstricht, où je fus forcé de la quitter ; elle devait aller avec sa mère à la campagne, pendant que son mari irait seul du côté de la Suisse. Je ne connaissais point sa mère, et je n’avais aucun prétexte plausible, aucun moyen décent pour m’introduire dans une maison étrangère. Cette première séparation me déchira vraiment le cœur. Il nous restait encore quelque petite espérance de nous revoir. Et en effet, quelques jours après mon retour à La Haye, et le départ du mari pour la Suisse, mon adorée reparut à la ville. Ma félicité fut au comble, mais ce fut un éclair. Au bout de dix jours, pendant lesquels je pouvais passer et j’étais en réalité le plus heureux des hommes, elle ne se sentant pas le cœur de me dire quel jour elle devait repartir pour la campagne, non plus que moi le courage de le lui demander, un matin, mon ami d’Acunha tombe chez moi, et, en m’apprenant qu’elle n’a pu se dispenser de partir, il me remet une petite lettre de sa main, qui me donne le coup de la mort ; elle m’annonçait avec une ingénuité qui respirait encore la tendresse qu’elle ne pouvait plus, sans scandale, différer de se rendre auprès de son mari, qui lui avait commandé de la rejoindre. Mon ami ajoutait affectueusement de vive voix que, ce mal étant sans remède, il fallait se soumettre à la nécessité et à la raison.

Peut-être ne m’en croirait-on pas si je racontais toutes les folies que m’inspira l’excès de la douleur et du désespoir. Pour tout dire, en un mot, je voulais absolument mourir, mais je n’en dis mot