plus belle, je m’établis pour cet hiver dans la maison de ma sœur, tout le jour occupé à lire ou à me promener un peu, mais ne frayant jamais avec personne. Je ne lisais toujours que des ouvrages français : je voulus lire l’Héloïse de Rousseau, et je l’essayai à plusieurs reprises ; mais, quoique mon caractère fût naturellement très-passionné, et que je fusse alors éperdument amoureux, je trouvais dans ce livre tant de manière, tant de recherche, tant d’affectation de sentiment, et si peu d’émotion véritable, tant de chaleur de tête et si peu de celle du cœur, que je ne pus jamais achever le premier volume. Pour ce qui est de ses œuvres politiques, le Contrat social, par exemple, je ne le comprenais pas, et partant je les laissai là. La prose de Voltaire me charmait singulièrement ; mais ses vers m’ennuyaient. Je n’ai jamais lu sa Henriade que par morceaux détachés, la Pucelle aussi peu, ayant toujours eu du dégoût pour les choses obscènes. Je lus enfin quelques-unes de ses tragédies. Montesquieu, au contraire, je le lus bien deux fois, d’un bout à l’autre, avec admiration, avec plaisir, et peut-être aussi avec quelque fruit. L’Esprit d’Helvétius me fit encore une impression profonde, mais pénible. Mais pour moi le livre des livres, celui qui, pendant cet hiver, me fit passer bien des heures de ravissement et de béatitude, ce fut Plutarque, et ses vies des vrais grands hommes. Il en est, celles, par exemple, de Timoléon, de César, de Brutus, de Pélopidas, de Caton, et d’autres encore, que je relus jusqu’à quatre
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