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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/157

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si on était assez téméraire pour y jeter une barque. En effet, le jour d’après, aborda à Grisselhamma un pécheur qui venait sur un petit bateau de cette même île où moi-même je devais d’abord prendre terre : ce pêcheur nous dit qu’on pouvait passer, mais avec peine. Je voulus aussitôt tenter l’aventure, quoique ma barque où je transportais ma voiture fut pour cette raison beaucoup plus considérable que ce bateau de pêche. L’obstacle devenait plus grand, mais le danger moindre d’autant ; il était naturel qu’une grosse embarcation résistât mieux qu’une petite aux coups de ces glaçons mouvans, et ce fut précisément ce qui arriva. Tous ces ilôts flottans donnaient un aspect extraordinaire à cette mer horrible, qui ressemblait moins à une masse d’eau qu’à une terre déchirée et bouleversée. Mais comme, grâce à Dieu, le vent était extrêmement faible, les glaçons, en se heurtant contre ma barque, semblaient vouloir la caresser plutôt que la briser. Cependant leur grand nombre et leur mobilité faisaient souvent que partis de points opposés ils se rencontraient au devant de ma proue, et que venant à se réunir, ils l’empêchaient de tracer son sillon ; et aussitôt d’autres venaient, puis d’autres encore, et s’entassant les uns sur les autres, ils faisaient mine de vouloir me renvoyer au continent. Il n’y avait alors qu’un remède efficace, c’était la hache, dont on se servait pour châtier l’insolence des glaces. Plusieurs fois mes marins et moi-même nous sautâmes sur ces glaçons, et à coups de hache nous les brisions et les