Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’avais donné en garde au marquis de Caraccioli ; mais comme sans chevaux je ne suis plus que la moitié de moi-même, j’étais à peine à Barcelonne depuis quelques jours, que déjà j’en avais acheté deux, un Andalous bai-doré, superbe animal de la race des Chartreux de Xerez, et un hacha de Cordoue, plus petit, mais excellent et plein de feu. Depuis que j’étais au monde, j’avais toujours désiré des chevaux d’Espagne ; mais il est si difficile d’en faire venir ! Aussi ne pouvais-je croire que j’en eusse deux d’une si grande beauté. Montaigne, à côté d’eux, était un froid consolateur ; je résolus donc de continuer à cheval tout mon voyage d’Espagne. La voiture devait aller à petites journées et au pas des mulets ; car dans ce royaume il n’existe pas de poste aux chevaux, et il ne saurait y en avoir, vu l’état déplorable de tous les chemins sous le ciel de cette autre Afrique.

Une légère indisposition m’ayant retenu à Barcelonne jusqu’au commencement de novembre, je voulus, dans l’intervalle, à l’aide d’une grammaire et d’un vocabulaire espagnol, lire un peu de cette admirable langue que nous apprenons aisément, nous autres Italiens. En effet, je parvins à déchiffrer le Don Quichotte, que j’entendais assez bien, que je goûtais plus encore. Mais souvent déjà je l’avais lu en France, et mes souvenirs m’étaient d’un grand secours.

Une fois sur la route de Saragosse et de Madrid, je m’accoutumai peu à peu à cette nouvelle