Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/203

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moi, de Lisbonne, qu’une amitié très-tendre et une estime profonde pour cet excellent abbé de Caluso, que j’espérais bien revoir quelque jour à Turin. Ce qui me charma de Séville, ce fut avec son beau climat la physionomie tout originale et complètement espagnole qu’elle gardait encore dans le royaume entre toutes les autres. Pour ma part, j’ai toujours préféré un original, si mauvais qu’il fût, à la meilleure copie. La nation espagnole et la portugaise sont presque les seules en Europe qui conservent aujourd’hui leurs usages, particulièrement dans la classe inférieure et dans la moyenne. Et quoique le bien y soit comme submergé dans un océan d’abus de tout genre qui pèsent sur la société, ces peuples n’en sont pas moins, à mon avis, une excellente matière première d’où l’on peut aisément tirer de grandes choses, surtout en fait de vertu guerrière ; ils en ont au plus haut degré tous les élémens, courage, persévérance, honneur, sobriété, patience, docilité et hauteur d’âme.

Je terminai mon carnaval assez gaiement à Cadix. Mais quelques jours après mon départ, je m’aperçus, en allant à Cordoue, que j’emportais de Cadix un souvenir dont j’aurais quelque peine à me débarrasser. Ces blessures peu glorieuses ajoutèrent encore leur amertume à l’ennui de cet éternel voyage de Cadix à Turin. Je le voulus faire tout d’une haleine, et pour ainsi dire sans en rien perdre, en traversant l’Espagne dans toute sa longueur, jusqu’aux frontières de France par où j’étais venu. À force de rigueur, d’obstination et de con-