Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/258

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aucune, loin d’en avoir médité une seule. Joignez à cela une ignorance à peu près complète des règles de l’art tragique, et une inexpérience tout aussi grande (le lecteur a pu le remarquer dans les fragmens que j’ai cités) en l’art indispensable et divin de bien écrire et de manier ma propre langue, le tout enveloppé dans l’épaisse et dure écorce d’une présomption, ou, pour mieux dire, d’une pétulance incroyable, et d’une impétuosité de caractère qui ne me laissait qu’à grand'peine, et encore rarement et en rongeant mon frein, connaître, rechercher, entendre la vérité. C’étaient là, on le voit sans peine, des capitaux, d’où il était plus facile de tirer un prince médiocre et vulgaire, qu’un auteur éclairé.

Cependant une voix secrète se faisait entendre au fond de mon cœur, et m’avertissait plus énergiquement encore que ne le faisait ce petit nombre de mes vrais amis : « il te faut de toute nécessité retourner en arrière, et pour ainsi dire, redevenir enfant, recommencer ex professo l’étude de la grammaire et apprendre successivement tout ce qu’il faut savoir pour écrire correctement et avec art. » Et cette voix parla si haut que je finis par me laisser convaincre, et par baisser la tête : chose dure cependant, et à mon âge plus mortifiante que je ne puis dire, d’aller avec la pensée et la manière de sentir d’un homme, me remettre à l’école, pour épeler comme un petit garçon. Mais la gloire faisait luire à mes yeux un flambeau si brillant, et toujours courbé sous la honte de mes premiers essais, j’a-