Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaient d’ailleurs sonore et coulant. Nous ne nous entendions pas. J’appelais, moi, languissant et trivial ce qui pour eux était coulant et sonore. Quant aux incorrections, c’était chose de fait et non de goût, il ne pouvait donc y avoir discussion. En fait de goût, j’étais tout aussi accommodant, et je jouai mon rôle de disciple aussi bien qu’eux leur rôle de maîtres. Dans le fond, et avant tout, c’était à moi d’abord que je voulais plaire. Je me bornais donc à apprendre de ces messieurs ce qu’il fallait ne pas faire, me reposant sur le temps, sur l’expérience, sur mon obstination et sur moi-même du soin d’apprendre ce qu’il fallait faire. Si je voulais égayer mon lecteur aux dépens de ces doctes critiques comme peut-être alors ils s’égayaient aux miens, je n’aurais qu’à nommer tel d’entre eux, je dis un des plus majestueux, qui m’apportait la Tancia de Buonarotti[1], et me la conseillait, je ne dirai pas comme modèle, mais comme pouvant m’être d’un utile secours dans l’étude du vers tragique : j’y trouverais un ample répertoire de tours et d’expressions. C’était recommander à un peintre d’histoire la manière de Callot. Un autre me louait le style de Métastase, excellent, disait-il, pour la tragédie, un autre autre chose; mais aucun de ces savans n’était savant en tragédie. Pendant mon séjour à Pise, je traduisis égale-

  1. Le Buonarotti dont il est ici question est un neveu de Michel-Ange. Sa Tancia, le meilleur de ses ouvrages, est une espèce de comédie champêtre. (N. du T.)