Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/283

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l’un de Virgile, qui veut charmer, ravir son lecteur,

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum[1].

l’autre de Sénèque, qui veut étonner, confondre l’auditeur et caractériser en deux mots deux personnages différens :

Concède mortem.
Si recusares darem[2].

Un tragique italien ne devra donc pas non plus, dans les situations les plus passionnées et les plus terribles, mettre à la bouche de ses personnages des vers qui pour le son ressemblent en rien à ces vers d’ailleurs admirables, grandioses, de notre épique :

Chiama gli abitalor dell’ ombre eterne
Il rauco suon della tartarea tromba[3].

Convaincu dans le cœur qu’il faut conserver entre les deux styles cette différence essentielle, qui pour nous autres Italiens est d’autant plus difficile qu’il est nécessaire de la créer sans sortir du même mètre, je me rangeais donc fort peu à l’avis des sa-

  1. Les chevaux battent d’un pied bruyant les champs poudreux à pas précipités.
    Virg., liv. iii, v. 596.
  2. Donne-moi la mort. — Je te la donnerais , si tu ne la demandais pas.
    Sénèqu, Agam., acte v.
  3. Le rauque son de la trompette infernale appelle les habitans des ombres éternelles.
    Jérus.dél. ch. iv, oct. 3.