Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/33

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dans l’ame, me croyant déshonoré pour toujours. Je ne voulus, ce jour-là, ni manger, ni parler, ni étudier, ni pleurer, et tel fut finalement l’excès de ma douleur et la tension de mon âme, que j’en fus malade plusieurs jours. Jamais dans la suite il ne fut même parlé, à la maison, de ce supplice du réseau, tant ma tendre mère fut épouvantée du désespoir que j’en montrai ; moi, de mon côté, je demeurai fort long-temps sans faire aucun mensonge. Et qui sait si je ne dois pas à ce bienheureux réseau d’avoir été toute ma vie un des hommes les plus sincères que j’aie connus ?

Autre historiette. Mon aïeule maternelle était venue à Asti : c’était une dame fort considérée à Turin, veuve de l’un des plus grands seigneurs de la cour, et environnée de toute cette pompe extérieure qui laisse une si grande impression dans l’esprit des enfans. Cette dame demeura quelques jours auprès de ma mère, et, quoiqu’elle m’eût comblé de caresses, je n’avais pu parvenir à me familiariser avec elle, comme un vrai petit sauvage que j’étais. Lorsqu’elle fut sur le point de partir, elle me dit de lui demander ce qui pourrait m’être le plus agréable, qu’elle se ferait un plaisir de me le donner. Par honte, d’abord, et par timidité, ou irrésolution, puis par opiniâtreté et entêtement, je m’obstinai à lui répondre une seule et même parole : rien ; et l’on eut beau me retourner de vingt manières pour m’arracher un autre mot que ce rien impertinent et grossier, tout fut inutile. Et tout ce que gagnèrent à s’ob-