bandonnai mon poste, et, mettant pied à terre, j’allai me placer en tête de la colonne, dont je réglai la marche pas à pas. Pour modérer encore le mouvement de la descente, j’avais mis à la tête mes chevaux les plus forts et les plus pesans. Pendant le trajet, mes adjudans couraient sans cesse de la tête à la queue pour les tenir tous ensemble, et sans autre intervalle que la distance voulue. Malgré tous mes soins, plusieurs se déferrèrent de trois pieds ; mais mes dispositions étaient si bien prises, qu’aussitôt le maréchal put y porter remède, et ils arrivèrent tous sains et sauf à la Novalaise, les pieds en fort bon état, et sans qu’aucun fût devenu boiteux. Ces balivernes pourront servir de règle à ceux qui voudraient passer ou ces mêmes Alpes, ou d’autres montagne avec un grand nombre de chevaux. Pour moi, qui avais si heureusement dirigé cette expédition, je ne m’estimais guère moins qu’Annibal pour avoir fait passer un peu plus au midi ses éléphans et ses esclaves. Mais s’il lui en coûta beaucoup de vinaigre, j’y dépensai, moi, beaucoup de vin ; car guides et maréchaux, palefreniers et adjudans, tous en prirent à leur gré.
La tête ainsi remplie de ces misères où mes chevaux jouaient le grand rôle, mais vide en retour de toute pensée utile et louable, j’arrivai à Turin vers la fin de mai, et m’y arrêtai environ trois semaines, après une absence de plus de sept ans. Pour mes chevaux, dont je commençai par fois à m’ennuyer, vu le temps que cela durait, après sept