Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rable de Pompée venant en Égypte se mettre sous la garde et à la discrétion d’un Photin : « Celui qui entre dans la maison d’un tyran, s’il n’est esclave, le devient. » De même celui qui par désœuvrement ou par passe-temps rentre dans la prison qu’il avait quittée, risque fort d’en trouver la porte fermée, quand il voudra sortir, tant qu’il y reste des geôliers.

Pendant que j’approchais de Modène, les nouvelles que j’avais reçues de mon amie venaient tour à tour remplir mon cœur de peine ou d’espérance, mais toujours d’une grande incertitude. Les dernières, reçues à Plaisance, m’annonçaient enfin qu’elle était libre de quitter Rome, ce qui me ravissait de joie ; car Rome était le seul endroit où il me fût désormais impossible de la voir ; mais, d’un autre côté, les convenances avec leurs chaînes de plomb me défendaient impérieusement de la suivre, même alors. Ce n’était qu’avec beaucoup de peines, et en faisant à son mari d’énormes sacrifices d’argent, qu’elle avait fini par obtenir de son beau-frère et du pape la permission d’aller en Suisse aux eaux de Baden : car sa santé se trouvait alors sensiblement altérée par tant de dégoûts. Elle était donc partie de Rome au mois de juin 1784, et longeant les côtes de l’Adriatique par Bologne, Mantoue et Trente, elle se dirigea vers le Tyrol, précisément à la même époque où ayant quitté Turin, je retournais à Sienne par Plaisance, Modène et Pistoja. Cette pensée que j’étais alors si près d’elle, pour nous voir bientôt encore séparés de