Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaises devient bien vite haine implacable contre quiconque possède quelque bien, et un désir effréné de mettre obstacle à ce bien ou de le ravir, lors même qu’on ne devrait pas en jouir ; l’autre, dans les cœurs honnêtes, devient, sous le nom d’émulation et de noble lutte, un besoin inquiet et orageux d’obtenir des mêmes choses, autant ou plus que les autres. Oh ! combien est subtile et presque invisible la distance qui distingue le germe de nos vertus de celui de nos vices !

Ainsi, tantôt jouant avec mon frère, tantôt me querellant avec lui et y gagnant tour à tour de petits présens ou des coups de poing, je passai tout cet été avec plus de plaisir que les autres, ayant jusque alors toujours été seul à la maison, et l’on sait qu’il n’est pas de plus grand ennui pour les enfans. Un jour, entre autres, qu’il faisait très-chaud, vers midi, pendant que tout le monde faisait la sieste, nous faisions, nous autres, l’exercice à la prussienne, que mon frère m’enseignait. Voici que, dans une marche, en exécutant une conversion, je tombe et vais donner de la tête sur un des chenets que, par négligence, on avait laissés dans la cheminée depuis l’hiver précédent. Le chenet était brisé et n’avait plus cette pomme de cuivre adaptée d’ordinaire sur les deux pointes qui s’avancent en dehors de la cheminée, et ce fut sur l’une de ces pointes que j’allai, pour ainsi dire, me clouer la tête, à un doigt environ au-dessus de l’œil gauche, et au beau milieu du sourcil. La blessure fut si large et si profonde, que j’en porte