Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/41

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dans le courant de l’été, sans que je l’aie jamais revu. Vers le même temps, mon oncle paternel, le chevalier Pellegrino Alfieri, à qui le soin de ma fortune avait été confié depuis la mort de mon père, et qui revenait alors d’un long voyage en France, en Hollande et en Angleterre, passa par Asti, où il me vit, et s’étant avisé, en homme de grand sens qu’il était, qu’avec ce système d’éducation je n’apprendrais pas grand’chose, de retour à Turin, il écrivit à ma mère, à quelques mois de là, qu’il voulait absolument me placer à l’Académie de cette ville. Mon départ se trouva donc coïncider avec la mort de mon frère. Je n’oublierai jamais le visage, les gestes et les paroles de ma pauvre mère au désespoir, qui disait en sanglotant : Dieu m’enlève l’un, et pour toujours, et l’autre, qui sait quand je le reverrai ! Elle n’avait encore qu’une fille de son troisième mari : elle en eut ensuite successivement deux garçons, pendant que j’étais à l’Académie de Turin.

Cette douleur de ma mère me pénétra profondément ; mais bientôt le désir de voir de nouveaux objets, l’idée de voyager, en poste dans peu de jours, moi qui venais tout fraîchement de faire mon premier voyage à une ville située à quinze milles d’Asti, dans une voiture tirée par deux bœufs paisibles, et cent autres petites idées de ce genre, idées d’enfant qui se jouaient autour de mon imagination, tout cela allégeait en grande partie la douleur que je ressentais de la mort de mon frère et de l’extrême affliction de ma mère. Mais quand