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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/416

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venir, tous ceux qui ont affaire avec ces espèces de singes, et nous sommes malheureusement dans ce cas, mon amie et moi, doivent passer leur vie à craindre un dénouement qui ne peut tourner à bien.

1790.Voilà donc plus d’une année que je regarde en silence et que j’observe le progrès des lamentables effets de la docte ignorance de ce peuple, qui a le don de savoir babiller sur toutes choses, mais qui ne peut en mener aucune à bonne fin, parce qu’il n’entend rien à la pratique des affaires et au maniement des hommes, ainsi que déjà l’avait finement remarqué et dit notre prophète politique, Machiavel. Aussi, profondément affligé de voir cette sainte et sublime cause de la liberté sans cesse trahie de la sorte, défigurée et compromise par ces demi-philosophes, indigné de ne voir se produire chaque jour que des demi-lumières et des moitiés de crimes, et, en somme, rien d’entier que l’impéritie de tous ; épouvanté enfin de voir la prédominance militaire et l’insolente licence des avocats stupidement données pour base à la liberté, je n’ai plus qu’un désir, c’est de pouvoir sortir pour toujours de cet hôpital fétide, où s’agitent pêle-mêle les misérables et les fous. J’en serais déjà loin, si la meilleure partie de moi-même ne s’y trouvait malheureusement retenue par ses intérêts. Partagé entre des doutes et des craintes continuelles qui se disputent mon intelligence abêtie depuis un an que mes tragédies sont achevées, je traîne des jours misérables, je végète plutôt que je ne vis ; épuisé d’ailleurs par les trois années que