Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/426

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en plus l’horizon de la France, et nos intérêts s’y trouvèrent gravement compromis, car nous avions l’un et l’autre plus des deux tiers de notre revenu sur la France, et la monnaie venant à disparaître pour faire place à un papier imaginaire, et dont le crédit baissait chaque jour, chacun de nous voyait, d’une semaine à l’autre, sa fortune fondre dans sa main, et se réduire d’abord à deux tiers, puis à la moitié, puis à un tiers, pour s’en aller bientôt à rien. Attristés tous les deux et condamnés à subir cette irrémédiable nécessité, nous nous résignâmes à céder, et à revenir en France, le seul pays alors où ce misérable papier pût nous faire vivre, mais avec la triste perspective d’un avenir plus sinistre encore. Toutefois, au mois d’août, avant de quitter l’Angleterre, nous voulûmes la parcourir et visiter successivement Bath, Bristol, et Oxford. De retour à Londres, nous partîmes pour Douvres, où nous nous embarquâmes peu de jours après.

À Douvres, il m’arriva une aventure vraiment romanesque, que je raconterai en peu de mots. Pendant mon troisième voyage d’Angleterre en 1783 et 1781, je n’avais rien su, rien cherché à savoir de cette merveilleuse dame, qui, dans mon second voyage, m’avait par son amour exposé à tant de dangers. J’avais seulement ouï dire qu’elle n’habitait plus Londres, que son mari était mort après son divorce, et l’on croyait, ajoutait-on, qu’elle s’était remariée à quelqu’un d’obscur et d’inconnu. Dans ce dernier voyage, et durant plus de quatre mois que j’avais passés à Londres, je n’a-