Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/439

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et des riches qui se sauvent, ramenons-les à l’hôtel de ville, et qu’on en fasse justice. » Mais peu à peu le faible secours de nos quatre gardes nationaux, qui de loin en loin ouvraient la bouche en notre faveur, la violence de mes cris, ces passeports que je leur montrai, et que je leur déclamai avec une voix de crieur public, plus que tout le reste enfin, la grande demi-heure pendant laquelle ces singes-tigres eurent tout le temps de se fatiguer à la lutte, tout cela finit par ralentir leur résistance, et les gardes m’ayant fait signe de remonter dans ma voiture où j’avais laissé mon amie, en quel état ? on peut l’imaginer, je m’y jetai ; les postillons se remirent en selle, la grille s’ouvrit, et nous sortîmes au galop, accompagnés par les sifflets, les insultes et les malédictions de cette canaille. Il fut heureux pour nous que l’avis de ceux qui voulaient nous reconduire à l’hôtel de ville ne prévalût pas ; si on nous voyait arriver ainsi avec deux voitures surchargées, et ramenés en pompe avec ce renom de fugitifs, il y avait beaucoup à craindre pour nous au milieu de cette populace. Une fois devant les brigands de la municipalité, nous étions bien sûrs de ne plus partir ; tout au contraire, on nous envoyait en prison ; et si le hasard voulait que nous y fussions encore le 2 septembre, c’est-à-dire quinze jours après, nous étions de la fête, et nous partagions le sort de tant d’autres braves gens qui s’y virent cruellement égorgés. Échappés de cet enfer, nous arrivâmes à Calais en deux jours et demi, pendant lesquels