Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/467

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que les Français professaient pour elle. Déjà, au mois de décembre 1798, ils avaient achevé la magnifique conquête de Lucques, d’où ils ne cessaient de menacer Florence, et, au commencement de 1799, l’occupation de cette ville semblait inévitable. Je voulus donc mettre ordre à mes affaires et me tenir prêt à tous événemens. Déjà, l’année précédente, j’avais, dans un accès d’ennui, abandonné le Misogallo, et m’étais arrêté à l’occupation de Rome, que je regardais comme le plus brillant épisode de cette épopée servile. Pour sauver cet ouvrage qui m’était cher et auquel je tenais beaucoup, j’en fis faire jusqu’à dix copies, et je veillai à ce que, déposées en différens lieux, elles ne pussent ni s’anéantir ni se perdre, mais reparaître, quand le moment serait venu. N’ayant jamais dissimulé ma haine et mon mépris pour ces esclaves mal nés, je résolus d’être prêt pour toutes leurs violences et toutes leurs insolences, c’est-à-dire de m’y préparer de manière à ne point les subir. Je n’y savais qu’un moyen : si on ne me provoquait pas, je ferais le mort ; si l’on me cherchait le moins du monde, je saurais donner signe de vie et me montrer en homme libre.

Je pris donc toutes mes mesures pour vivre sans tache, libre et respecté, ou, s’il le fallait, pour mourir, mais en me vengeant. J’ai écrit ma vie pour empêcher qu’un autre ne s’en acquittât plus mal que moi ; le même motif me fit alors aussi composer l’épitaphe de mon amie et la mienne, et je les donnerai ici en note, parce que ce sont celles que je veux et non pas d’autres, et qu’elles ne disent de