Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/477

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mune, sans néanmoins me confesser vaincu , je restai dans cette villa avec un petit nombre de domestiques, et la douce moitié de moi-même, infatigablement occupés l’un et l’autre de l’étude des lettres ; car assez forte sur l’allemand et sur l’anglais, également bien instruite dans l’italien et le français, elle connaît à merveille la littérature de ces quatre nations, et, de l’ancienne, les traductions qui en ont été faites dans ces quatre langues lui en ont appris tout ce qu’il faut savoir. Je pouvais donc m’entretenir de tout avec elle, et le cœur et l’esprit également satisfaits, jamais je ne me sentais plus heureux que quand il nous fallait vivre tête-à-tête, loin de tous les soucis de l’humanité. Ainsi vivions-nous dans cette villa, où nous ne recevions qu’un très-petit nombre de nos amis de Florence, et rarement encore, de peur d’éveiller les soupçons de cette tyrannie militaire et avocatesque, qui, de tous les mélanges politiques, est le plus monstrueux, le plus ridicule, le plus déplorable, le plus intolérable, et qui ne s’offre à moi que sous l’image d’un tigre guidé par un lapin.

À peine arrivé à la campagne, je repris mon travail, recopiant et corrigeant les deux Alceste, sans toucher pour cela aux heures réservées, le matin, pour l’étude, ce qui m’occupait si fortement que je n’avais plus guère le loisir de penser à nos chagrins et à nos dangers. Ces dangers étaient nombreux, et on ne pouvait se les dissimuler, ni se flatter de l’idée qu’ils étaient loin. Chaque jour me les montrait plus près ; néanmoins, avec cette épine dans