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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/69

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puissance plus indomptable que la musique en général, et particulièrement les voix de femme et les contralti. Rien n’éveille en moi plus de sensations, et des sensations plus terribles et plus diverses. Presque toutes mes tragédies ont été conçues sous l’émotion immédiate de la musique, ou peu d’heures après. Ainsi s’écoula ma première année d’études à l’Université, et mon répétiteur ayant dit (je ne sais pourquoi ni comment) que j’avais fort bien employé l’année, je reçus de mon oncle de Coni la permission d’aller le retrouver dans cette ville, et d’y passer une quinzaine de jours, au mois d’août. C’était le second voyage que je faisais depuis que j’étais au monde ; et cette petite course de Turin à Coni, par cette féconde et riante plaine de notre beau Piémont, me réjouit fort et me réussit à merveille. Le grand air et le mouvement ont toujours été pour moi les premiers élémens de la vie. Mais le plaisir de ce voyage fut amèrement troublé par la nécessité de le faire avec de simples voituriers, et au pas ; moi, qui quatre ou cinq ans auparavant, sortant pour la première fois, avais si rapidement parcouru les cinq postes qui séparent Asti de Turin ! Il me semblait que c’était déchoir en grandissant, et je me regardais comme déshonoré par l’ignoble et froide lenteur de ce pas d’âne dont nous allions. Aussi, en entrant à Carignan, à Racconigi, à Savigliano, dans la plus mince bourgade, caché du mieux que je pouvais au fond de ma laide voiture, je fermais les yeux pour ne pas voir et n’être pas vu ; chacun allait sans doute