Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/78

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die, l’ivresse, ou toute autre cause, donne au visage humain cette rougeur étrange, on la dissimule autant qu’on le peut, de peur de s’attirer, en le laissant voir, la pitié ou la raillerie. Ces minois français me laissèrent un long et profond sentiment de dégoût et de répugnance pour les femmes de ce pays. Voici quelle fut l’autre source de dédain qui germait en moi : lorsque, long-temps après, j’étudiais la géographie, je voyais sur la carte qu’il y a une très-grande différence d’étendue et de population entre l’Angleterre ou la Prusse et la France, et néanmoins les nouvelles de la guerre venaient sans cesse m’apprendre que les Français s’étaient fait battre sur terre et sur mer. Ajoutons à cela ce que, dès l’enfance, on m’avait dit, que les Français avaient été plusieurs fois les maîtres d’Asti, et qu’en dernier lieu, ils y avaient été faits prisonniers au nombre de six ou sept mille et plus, se laissant prendre comme des lâches, sans opposer aucune résistance, après s’y être montrés, comme de coutume, arrogans et despotes, avant de s’en faire chasser. Ces diverses particularités, que je rassemblai sur le visage de mon maître de danse, dont j’ai déjà plus haut décrit les façons ridicules et l’encolure grotesque, firent naître à jamais dans mon cœur ce mélange d’aversion et de mépris pour cette nation fâcheuse[1]. Et certes, tout homme

  1. Il était du devoir du traducteur de laisser à Alfieri toute la liberté de sa pensée. Cette exagération ridicule est un trait de plus dans le caractère de l’auteur, et nous ne prendrons pas la peine de la relever autrement. N. D. T.