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naturel vers la justice, l’égalité, la générosité des sentimens, et ce sont là, ce me semble, les élémens d’une ame libre, ou digne un jour de l’être.






CHAPITRE X.

Première amourette. — premier voyage. — Mon début dans les armes.


1765. Pendant un mois environ que je passai à la campagne, dans la famille de deux frères mes meilleurs amis, et qui étaient de mes cavalcades, je ressentis pour la première fois, et à ne pouvoir en douter, le pouvoir de l’amour. Le mien avait pour objet leur belle-sœur, femme de leur frère aîné. Cette jeune dame était une petite brune, pleine de vivacité et douée d’une grâce piquante, qui faisait sur moi une très-grande impression. Les symptômes de cette passion, qui depuis m’a fait si longuement éprouver pour d’autres toutes ses vicissitudes, se manifestèrent alors chez moi de la manière suivante : une mélancolie profonde et obstinée, le besoin de chercher sans cesse l’objet aimé, et, à peine trouvé, de le fuir ; un embarras de lui parler, si par hasard je me trouvais quelques rares momens je ne dirai pas seul (ce qui jamais n’arrivait, car elle était surveillée de très-près par son beau-père et sa belle-mère), mais un peu à l’écart avec elle ; courir des jours entiers, depuis notre retour