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SPOKANE ET LES INDIENS

nom spécial, sous lequel il sera désormais désigné parmi eux. Ce nom leur est inspiré par un détail extérieur, une particularité physique qui les frappe. Pour moi, ce qui leur parut le plus remarquable, ce fut mon lorgnon, et ils m appelèrent «  le Père Victor Œil de cristal  »   ; je ne me rappelle plus le mot qui signifie en leur langue «  œil de cristal  », mais je me souviens que les lettres «  v  » et «  r  » manquant dans leur alphabet, au lieu de Victor, ils prononçaient «  Mittol  ».

J’ai déjà dit plus haut que la tribu des Cœurs d’Alène est tout entière catholique  ; ici il n’en est pas de même. Un tiers seulement des Nez-Percés est catholique, un autre tiers protestant et le reste encore païen. Ces païens adorent, paraît-il, les astres, le feu, les eaux, mais surtout le soleil  ; il est d’ailleurs très difficile de pénétrer leurs mystères. Je fus dès le début témoin d’une conversion, et j’assistai au baptême d’un jeune païen de 25 à 30 ans, qui m’édifia par sa piété naïve. Il s’appelait André Corne d’argent. Après le baptême, on réhabilita son mariage  ; sa femme déjà chrétienne paraissait tout heureuse.

Le dimanche était notre grand jour  ; après une semaine de solitude nous voyions arriver nos paroissiens, jaunes et blancs, les uns à cheval, les autres en voiture, tous accompagnés de leurs chiens, qui par leurs gambades et leurs aboiements joyeux mettaient dans le paysage une note de gaîté. L’église était bientôt pleine  ; les femmes commençaient à réciter ou plutôt à chanter le rosaire dans leur langue harmonieuse, jusqu’à ce que le prêtre parût à l’autel. Les jeunes filles du pensionnat des Sœurs chantaient à la tribune  ; le P. Ragaru et moi nous prêchions alternativement, d’abord en anglais pour les Blancs, puis en nez-percé pour les Indiens. L’aspect gé-