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LIVRE I. — CHAPITRE IV.

déjà formulées par un des plus anciens représentants de sa propre doctrine ?

En outre, comment concilier les subtilités inévitables dans ce genre d’argumentation avec l’horreur pour la dispute dont Timon fait preuve à chaque instant dans les fragments les plus authentiques ? Celui qui parle si ironiquement des mégariques[1] et de leur goût pour les discussions sans fin, celui qui a si cruellement malmené Arcésilas et les académiciens, a-t-il pu leur emprunter leurs procédés et imiter des façons d’agir qu’il ne se lassait pas de blâmer ?

Timon a pu relever des contradictions chez ses adversaires, signaler les difficultés que présentaient quelques-unes des conceptions admises par les physiciens : il a opposé les sens à la raison[2]. Mais tout cela n’indique pas qu’il ait été un sceptique dialecticien, comme le seront Arcésilas et Ænésidème. Le scepticisme nous paraît plutôt avoir été chez lui, comme chez Pyrrhon, une réaction contre les prétentions de l’ancienne philosophie, un renoncement à toute philosophie savante et à l’appareil dialectique dont elle s’entoure. Comme son maître, c’est la pratique, la manière de vivre qu’il avait surtout en vue. Pyrrhon avait dédaigné la dialectique, Timon s’en est moqué[3].


Timon eut-il des disciples ? Ménodote[4] dit non et soutient qu’après lui le scepticisme disparut jusqu’au jour où Ptolémée de Cyrène le fit revivre. Hippobotus et Sotion disent, au contraire, que Timon eut pour auditeurs Dioscoride de Chypre, Nicolochus de Rhodes, Euphranor de Séleucie et Praylus de Troade. Que ces disciples aient existé ou non, ils n’ont rien ajouté à l’héritage de leurs maîtres. Tout ce que nous en savons,

  1. Diog., II, 107.
  2. Natorp, toujours disposé à retrouver chez les plus anciens philosophes les doctrines les plus récentes, ne manque pas d’attribuer à Timon le scepticisme savamment élaboré qu’on trouve chez ses successeurs (op. cit., p. 986), mais les raisons qu’il donne ne paraissent pas décisives.
  3. Sur les opinions de Timon en morale, voir ci-dessus, p. 62.
  4. Diog., IX, 115.