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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/114

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LIVRE II. — CHAPITRE II.

toutes leurs qualités, qui au grand jour des discussions publiques se tournaient en défauts, les stoïciens étaient déconcertés par cette éloquence agile et ailée, tour à tour ironique, subtile ou emportée, toujours brillante, qui bourdonnait à leurs oreilles, les attaquait sur tous les points à la fois, les irritait, leur ôtait tout sang-froid, et savait toujours, chose importante à Athènes, mettre les railleurs de son côté : « Leur muse, dit un ancien[1], n’avait pas le secret du beau langage, et ignorait les grâces. » Leur embarras était d’autant plus grand, qu’ils n’avaient point de prise sur un adversaire qui faisait profession de ne rien affirmer, se dérobait, leur glissait entre les mains, chaque fois qu’ils croyaient le saisir, et savait[2], comme ces fantômes malfaisants qu’on appelait les empouses, prendre mille formes différentes. Ils en étaient réduits, faute de savoir par où prendre Arcésilas, à injurier Platon, qui était mort ; et ils paraissent s’être acquittés de ce soin avec conscience. Dans la stupeur de ses adversaires, dans l’enthousiasme de ses partisans, la victoire d’Arcésilas fut complète. Les Athéniens étaient sous le charme, car à tous ses dons oratoires leur philosophe joignait tous les avantages physiques : la beauté de son visage[3], le feu de ses yeux, le charme de sa voix enlevaient tous les suffrages. On en était arrivé à ce point, nous dit Numénius, qui a tracé de ces luttes oratoires un tableau vif et animé, qu’il n’y avait pas une parole, pas un sentiment, pas une action, si insignifiante qu’elle fût, qu’on se permît d’approuver, si tel n’était pas l’avis d’Arcésilas de Pitane. Jamais, nous disent d’autres écrivains[4], aucun orateur ne fut plus populaire, et ne laissa, après sa mort, de plus unanimes regrets.


II. Arcésilas n’a rien écrit[5] ; tout ce que nous savons de

  1. Num. ap. Euseb., loc. cit., XIV, vi, 14.
  2. Num., loc. cit., XIV, vi, 14.
  3. Ibid., vi, 3.
  4. Diog., IV, 44 : Ἀποδεχθεὶς πρὸς Ἀθηναίων ὡς οὐδείς.
  5. Diog., IV, 31 ; Plut., De Alex. virtute, I, IV.