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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/116

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LIVRE II. — CHAPITRE II.

de mériter son nom s’il lui arrivait jamais de donner son assentiment à des représentations qui ne seraient pas compréhensives ; il ne le donne qu’à la vérité : il n’a point d’opinions, il n’a que des certitudes.

Toute cette théorie de la science, et par suite toute la morale, repose sur la représentation compréhensive, qui est réellement, et à elle seule, le criterium de la vérité. Si on la supprime, il n’y a plus de compréhension, partant plus de science. C’est bien là le nœud vital du système. C’est là qu’Arcésilas, en tacticien avisé, porta ses coups les plus rudes.

Il nia d’abord que l’assentiment puisse être donné à de simples représentations[1] ; on ne l’accorde, suivant lui, qu’à des jugements (ἀξιώματα). C’est à peu près ce que nous disons aujourd’hui en affirmant qu’il n’y a de vérité ou d’erreur que dans le jugement. Mais ce n’était pas l’argument principal de sa réfutation.

Il admettait pleinement la déduction de Zénon : le sage, s’il mérite son nom, n’a pas d’opinions, mais des certitudes. Seulement il n’y a pas de certitude ou de science, car il n’y a pas de représentation compréhensive. Par suite, le seul parti qui reste au sage, c’est de ne rien affirmer ou de suspendre son jugement. Arcésilas abonde dans le sens de Zénon, mais pour l’amener plus sûrement à son scepticisme. Il veut l’enfermer dans ce dilemme : ou le sage a des opinions, ou il ne doit rien affirmer. La première proposition, qui nous semble aujourd’hui fort acceptable et que Carnéade admettra, ne pouvait à aucun prix être accordée par Zénon : il est contradictoire à ses yeux que le sage ou le savant puisse ne pas savoir ce qu’il affirme. Il faudra donc prendre le second parti. Faute de certitude absolue, le sage renoncera à toute croyance. Cette abdication vaut mieux qu’une concession : c’est la doctrine du tout ou rien.

Voici maintenant comment Arcésilas prouvait qu’il n’y a pas de représentation compréhensive. La définition stoïcienne admet

  1. Sext., M., VII, 154 : Ἡ συγϰατάθεσις οὐ πρὸς φαντασίαν γίνεται, ἀλλὰ πρὸς λόγον· τῶν γὰρ ἀξιωμάτων εἰσὶν αἱ συγϰαταθέσεις.