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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/117

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ARCÉSILAS.

explicitement[1] qu’une représentation vraie diffère spécifiquement des autres représentations, comme les serpents à cornes diffèrent des autres serpents. Les premières sont produites par ce qui est, de telle façon quelles ne sauraient être produites semblablement par ce qui n’est pas[2]. Or, en fait, disait Arcésilas, cette différence spécifique n’existe pas, car des objets qui ne sont pas font sur nous des impressions aussi nettes et aussi expresses que ceux qui sont. Nous n’avons aucun moyen, lorsqu’une représentation se produit, de distinguer si elle est compréhensive ou non, si elle a un objet ou n’est qu’un fantôme. Il n’y a donc pas de critérium de la vérité.

Il ne nous est pas permis d’attribuer à Arcésilas tous les développements que les académiciens donnèrent plus tard à cet argument et tous les exemples qu’ils invoquèrent, car ils ne sont pas expressément mis à son compte par les textes. Il est bien probable cependant que, pour montrer qu’il n’y a pas de différence spécifique entre les représentations vraies et les fausses, il invoquait déjà les erreurs des sens, les illusions du rêve, de l’ivresse, de la folie[3]. Et il est aisé de deviner quel parti un dialecticien habile et spirituel pouvait tirer de tous ces faits pour tourner en ridicule le dogmatisme stoïcien.

Il concluait que ni les sens ni la raison ne peuvent atteindre la vérité[4]. Il faut se souvenir ici que, par raison, les philosophes de ce temps n’entendent plus la faculté de connaitre l’absolu, comme Platon et Aristote, mais seulement le raisonnement, qui tire des conséquences des données sensibles et s’élève de ce qui

  1. Sext., M., VII, 252 : Εἶχέ τι τοιοῦτον ἰδίωμα ἡ τοιαύτη φαντασία παρὰ τὰς ἀλλας φαντασίας ϰαθάπερ οἱ ϰεράσται παρὰ τοὺς ἀλλους ὄφεις.
  2. Cic., Ac., II, vi, 18 : « Visum impressum effictumque ex eo, unde esset, quale esse non posset, ex eo, unde non esset : id nos a Zenone definitum rectissime dicimus. » Cf. ibid., xxiv, 77 ; Sext., M., VII, 248, 402 ; P., II, 4 ; Diog., VII, 46.
  3. C'est du moins ce qu'on peut conjecturer d'après le passage de Sext. (M., VII, 154) : Οὐδεμία τοιαύτη ἀληθὴς φαντασία εὑρίσϰεται οἵα οὐϰ ἂν γένοιτο ψευδὴς, ὡς διὰ πολλῶν ϰαὶ ποιϰίλων παρίσταται.
  4. Cic. De Orat., III, xviii, 67.