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LA PHILOSOPHIE ANTÉSOCRATIQUE.

l’histoire, elles apparaissent longtemps avant que le scepticisme soit définitivement constitué. Quelle que fût la naïve confiance que la pensée humaine avait en elle-même, il était impossible que dès ses premiers pas elle n’aperçût pas quelques-uns des obstacles auxquels elle se heurtait, et n’apprît pas de bonne heure à se défier d’elle-même. Aussi voyons-nous des traces de scepticisme dès les premiers temps de la philosophie ; il y en a chez les philosophes antésocratiques, surtout chez les sophistes, même chez les socratiques.


I. Peut-être, si nous possédions sur les premiers philosophes de la Grèce des renseignements plus complets, trouverions-nous chez eux des réflexions sur les limites et les difficultés de la science, analogues à celles que nous rencontrons chez leurs successeurs, et qui s’offrent si naturellement à l’esprit de tous ceux qui poursuivent la vérité. Toutefois, tandis que les éléates, Héraclite, Empédocle, Démocrite et Anaxagore sont expressément désignés par plusieurs sceptiques comme les précurseurs de leur doctrine, nous ne voyons rien de pareil à propos des anciens ioniens et des pythagoriciens. À cette époque, comme l’a montré Ed. Zeller[1], l’esprit humain s’applique directement à l’étude du réel, sans soupçonner l’activité subjective qui participe à la formation de ses idées : le sujet et l’objet ne font qu’un ; l’intelligence ne doute pas un moment de sa puissance et de sa véracité.

Il en est déjà tout autrement à l’époque des éléates : il semble même qu’on voie apparaître un scepticisme expressément formulé chez le fondateur de cette école, Xénophane de Colophon. « Il n’y a jamais eu, dit-il[2], il n’y aura jamais un homme

  1. La philosophie des Grecs, trad. É. Boutroux, t. I, p. 134.
  2. Mullach, Fragm. phil. græc., t. I, p. 103, fr. 14 :

    Καὶ τὸ μὲν οὖν σαφὲς οὔτις ἀνὴρ γένετ’ οὐδέ τις ἔσται
    εἰδὼς, ἀμφὶ θεῶν τε καὶ ἄσσα λέγω περὶ πάντων·
    εἰ γὰρ καὶ τὰ μάλιστα τύχοι τετελεσμένον εἰπών,
    αὐτὸς ὅμως οὐκ οἶδε· δόκὸς δ’ ἐπὶ πᾶσι τέτυκται.