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INTRODUCTION. — CHAPITRE I.

montrèrent que l’être exclut la multiplicité elle changement. En suivant la même méthode, il était facile d’établir après eux qu’il n’exclut pas moins l’unité et l’immobilité : ces conséquences furent de bonne heure aperçues, comme on peut le voir par le Parménide de Platon, qui en signale et essaye d’en conjurer le danger. La dialectique d’Ænésidème ne procédera pas autrement. Seules les notions auxquelles s’applique la méthode seront changées : on raisonnera sur la cause et les signes au lieu de raisonner sur l’être. Et après Ænésidème, c’est à toutes les notions possibles que s’appliqueront les procédés éléatiques, avec la même facilité et la même rigueur apparente.

Au surplus, entre les deux écoles il y a des liens de filiation historique. Sans parler de Gorgias, qui procède directement de l’éléatisme[1], l’école mégarique et l’école d’Érétrie se rattachent étroitement à celle d’Élée : de la dialectique est née l’éristique, et de l’éristique au scepticisme, il n’y a qu’un pas. Pyrrhon subit l’influence de ces idées ; car il fut disciple de Bryson, qui avait probablement lui-même écouté les leçons d’Euclide de Mégare[2]. Enfin Timon, qui injurie tous les philosophes, n’a de louanges que pour Xénophane, Parménide et Zénon[3].

Ainsi, par un étrange renversement, les philosophes les plus hardis et les plus résolus dans leurs affirmations ouvrirent la voie à ceux qui devaient déclarer toute affirmation impossible ou illégitime. Cette influence cesse d’ailleurs de paraître extraordinaire, si on songe que l’éléatisme commençait par déclarer que le monde, tel que nous le voyons, n’est qu’une apparence. Nous montrerons dans le cours de cette étude que les sceptiques, surtout à partir d’Ænésidème, s’inspirent directement de la méthode de Parménide et de Zénon : les vrais ancêtres du scepticisme, ce sont les éléates.

Rien de plus opposé à la doctrine des éléates que celle d’Héraclite. Les uns disent : « L’être est, le non-être n’est pas » ;

  1. Zeller, op. cit., t. II, p. 500.
  2. Voir ci-dessous, p. 52.
  3. Voir ci-dessous, p. 86.