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LA PHILOSOPHIE ANTÉSOCRATIQUE.

l’autre soutient que l’être n’est pas, que le non-être est. Pourtant, sur la valeur de la connaissance sensible et sur les difficultés de la science, ils arrivent à la même conclusion : « Les yeux et les oreilles, dit Héraclite, sont de mauvais témoins pour ceux qui ont des âmes barbares[1] » L’un des premiers, sinon le premier, Héraclite a montré que la sensation suppose un double facteur, le mouvement de l’objet et celui du sujet[2] Parménide récusait le témoignage des sens, parce qu’ils nous montrent la multiplicité et le changement ; Héraclite, parce qu’ils nous représentent les choses comme ayant de l’unité et de la durée.

L’apparition de l’école d’Élée marque dans l’histoire de la philosophie grecque et même de la philosophie en général une date capitale. Parménide et Zénon eurent la gloire d’introduire des idées qui, une fois proposées, devaient s’imposer, et que tous les philosophes ultérieurs, d’un commun accord, acceptèrent. C’est désormais un axiome pour la pensée grecque que l’être en lui-même est éternel, immobile, soustrait à la génération et à la mort, ou, comme on l’a tant répété depuis, que rien ne naît de rien, et que rien ne peut périr. Les efforts des philosophes qui vinrent après eux tendirent uniquement à expliquer comment cette unité et cette persistance de l’être peut se concilier avec la diversité et le changement qu’il est impossible de contester sérieusement. On sait comment Empédocle, par sa théorie des quatre éléments, Leucippe et Démocrite, par celle des atomes, Anaxagore par celle des homéoméries, tous par la conception mécaniste, qui explique la diversité des êtres par la juxtaposition temporaire de principes immuables, essayèrent de résoudre le problème et de concilier Parménide et Héraclite.

Une conséquence nécessaire de ces vues sur l’être, toujours antérieures, chez les philosophes de ce temps, à toute théorie de

  1. Mollach, Fragm., 23, p. 317. Cf. Arist., Mét., I, 6 ; Sextus, M., VII, 126, 131.
  2. Zeller, op. cit. p. 174, note 3.