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LIVRE II — CHAPITRE V.

(probare), mais non connaître (percipere)[1], c’est ce qui est probable ou vraisemblable au sens où Carnéade, d’après Métrodore, définissait ces termes. Et c’est pourquoi, probablement, Philon, abandonnant l’interprétation de Clitomaque, adopta celle de Métrodore. Il donna seulement à la pensée de Carnéade ainsi comprise plus de netteté et de décision.

Comment Philon, dira-t-on, a-t-il pu soutenir une pareille thèse ? Comment dire que la vérité existe, si nous ne la connaissons pas ? Comment croire qu’elle est, si nous ne savons jamais ce qu’elle est ? Nous ne disons pas que Philon ait raison ; encore serait-ce une question de savoir si cette thèse ne peut être défendue. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Historiquement, la preuve que Philon a soutenu cette théorie[2], c’est

    comprehendi posse. » Ac., II, x, 39 : Volunt enim probabile aliquid qiuui verisimile. Cf. Ac., II, xxxii, 102.

  1. Cf. Stob., Floril., 234 : Οἱ ἀπὸ τῆς Ἀκαδημίας ὑγιεῖς μὲν (αἰσθήσεις), ὅτι δι’ αὐτῶν οἴονται λαβεῖν ἀληθινὰς φαντασίας, οὐ μὴν ἀκριβεῖς.
  2. L’interprétation de Hirzel (op. cit., p. 198) est, au fond, d’accord avec la nôtre. Suivant Hirzel, la grande originalité de Philon a été l’introduction du mot καταληπτόν, jusque-là employé par les seuls stoïciens et qu’il aurait adopté en lui donnant, il est vrai, un sens tout différent : les choses sont compréhensibles ; seulement nous ne sommes jamais sûrs, faute d’un critérium suffisant, de les avoir comprises. Cette introduction d’un terme stoïcien dans le langage de l’Académie aurait été la nouveauté qui a si fort scandalisé Antiochus. (Ac., II, iv, 11.)

    À l’appui de cette thèse, Hirzel cite le passage de Sextus (P., I, 135), où le mot καταληπτόν est, en effet, employé pour le compte de Philon, et celui de Cicéron (Ac., II, vi, 18 ), qui semble bien avoir la même signification. Il est fort possible que Hirzel ait raison. Philon, reconnaissant l’existence de la vérité, peut fort bien avoir dit que les choses sont compréhensibles, et, par suite, admis la possibilité de la science. Ce serait un emploi du mot, détourné, il est vrai, de sa signification ordinaire, à peu près comme, chez nous, quelques philosophes peuvent être amenés à dire que nous sommes parfois certains de choses qui ne sont peut-être pas vraies.

    Nous avons cependant quelques scrupules à admettre que Philon ait fait du mot καταληπτόν l’emploi que suppose Hirzel. Nous voyons, en effet, que la thèse constante attribuée aux académiciens et par Lucullus, qui la combat, et par Cicéron, qui la défend, est que rien ne peut être perçu ou compris (II, xi, 33 ; xiii, 42 ; xiv, 43 ; xix, 62 ; xx, 66 ; xxi, 68 ; xxiii, 73 ; xxiv, 78, etc.). Il est vrai qu’on a réservé et mis de côté la thèse de Philon (iv, 12 ; xxxi, 98). Mais n’oublions pas que Cicéron, dans sa lettre à Varron, se donne pour le représentant de Philon (partes mihi sumpsi Philonis), et il n’est pas présumable que, d’une édition à