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LES SUCCESSEURS DE CARNÉADE. — PHILON.

qu’Antiochus la combat avec une grande vigueur et lui adresse précisément l’objection qu’on vient de lire[1]. Il compare[2] spirituellement les partisans de cette opinion à quelqu’un qui ôterait la vue à un homme et dirait qu’il ne lui a rien ôté de ce qu’on peut voir. On nous refuse les moyens de connaître la vérité, mais on nous laisse la vérité.

Si étrange qu’elle puisse paraître à quelques-uns, cette thèse est celle que soutient Cicéron lui-même dans toute la seconde partie du Lucullus. Il répète à satiété que rien n’est certain, mais, en même temps, il ajoute qu’il ne conteste pas l’existence de la vérité[3]. La vérité, dit-il encore en se servant d’une expression de Démocrite[4] a été profondément cachée par la nature ; ne pouvant l’atteindre, nous pouvons du moins nous en rapprocher,

    l’autre, il ait changé d’attitude. De plus, en bien des passages, il est fait allusion expressément à Philon (xxii, 69 ; xxxiv, 111), ou ses partisans sont, selon toute vraisemblance, désignés sans être nommés (xiv, 44 ; x, 32). Comment croire que Cicéron ait combattu mordicus l’opinion suivant laquelle les choses sont compréhensibles, si Philon l’avait soutenue, même avec les restrictions qu’on suppose ? Comment croire surtout, si Philon avait admis l’emploi de ce mot, que Cicéron ait écrit (II, xli, 128) : Nec possunt dicere aliud alio magis minusve comprehendi, quoniam omnium rerum una est definitio comprehendendi. Enfin, d’après une très ingénieuse correction que Hirzel lui-même a introduite dans le texte de Photius (Myriob. cod., 212), Philon soutenait que tout est ἀκατάληπτον (Hirzel, p. 233). Ce qui paraît probable, c’est que Philon a déclaré que, si nous ne pouvons être sûrs de rien, cela ne tient pas à la nature même des choses, mais aux conditions de la connaissance. Le passage de Cicéron (II, xviii, 58 : « Veri et falsi non modo cognitio, sed etiam natura tolletur ») concorde tout à fait avec celui de Sextus. En d’autres termes, la vérité peut être connue, mais nous n’avons jamais le droit de dire que nous la connaissons. De là à employer couramment le mot καταληπτόν, il y a une certaine distance.

    Nous croyons donc que Philon a continué à employer le mot πιθανόν, comme le fait constamment Cicéron. Mais ce qu’il est essentiel de remarquer, c’est que, dans un cas comme dans l’autre, il est toujours resté fidèle au point de vue de Carnéade et n’a fait au dogmatisme qu’une concession apparente. En fin de compte, il ne dit pas autre chose, s’il le dit autrement, que ce qu’a dit Carnéade.

  1. Cic., Ac., II, xi, 35.
  2. Ac., II, xi, 33.
  3. Ac., II, xxiii, 73 : « Veri esse aliquid non negamus ; percipi posse negamus. » Cf. II, xxviii, 119 : « Vides me fateri aliquid esse veri, comprehendi ea tamen et percipi nego. »
  4. Cic., Ac., I, xii, 44.