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LIVRE III. — CHAPITRE II.

avec certitude[1] et qu’il faut s’interdire toute affirmation : l’ouvrage était dédié à L. Tubéron, partisan de l’Académie. Il semble qu’après avoir fait partie de cette école, Ænésidème ait précisément dans cet ouvrage rompu avec elle pour se déclarer en faveur du scepticisme.

Aussi son premier soin fut-il de marquer nettement ce qui sépare les académiciens et les pyrrhoniens. Les académiciens sont dogmatistes : tantôt ils affirment sans réserve, tantôt ils nient sans hésiter. Au contraire, il n’arrive jamais aux pyrrhoniens de dire qu’une chose est ou n’est pas vraie : ils n’affirment rien, pas même qu’ils n’affirment rien, et s’ils se servent de cette formule, encore trop affirmative à leur gré, c’est que le langage les y force. En outre, les académiciens sont souvent d’accord avec les stoïciens : ce sont à vrai dire des stoïciens en lutte avec des stoïciens. Ainsi ils font une distinction entre la sagesse et la folie, entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le probable et ce qui ne l’est pas : ils n’ont d’hésitation qu’au sujet de la φαντασία καταληπτική. Rien de semblable chez les pyrrhoniens. Enfin les pyrrhoniens ont encore sur les académiciens cette supériorité qu’ils ne sont pas en contradiction avec eux-mêmes ; car c’est se contredire de soutenir qu’il n’y a rien de certain, et en même temps de faire un choix entre le vrai et le faux, le bien et le mal. Ayant ainsi opposé les deux doctrines, Ænésidème achève son premier livre en donnant le résumé de tout le système[2] pyrrhonien.

  1. Phot., op. cit. : Οὐδὲν βέβαιον εἰς κατάληψιν, οὔτε δι’ αἰσθήσεως, ἀλλ’ οὔτε μὴν διὰ νοήσεως.
  2. Nous sommes fort embarrassé pour traduire le mot ἀγογὴ dont les pyrrhoniens se servaient, et que Sextus oppose à αἴρεσις (P., I, 16). Les pyrrhoniens refusent de dire qu’ils sont d’une secte, qu’ils ont un système au sens où les dogmatistes emploient ces mots : ils ont seulement des manières de voir, fondées sur l’expérience et la coutume (ἀκολουθοῦμεν γάρ τινι λόγῳ κατὰ τὸ φαινόμενον ὑποδεικνύντι ἡμῖν τὸ ζῆν πρὸς τὰ πάτρια ἔθη καὶ τοὺς νόμους καὶ τὰς ἀγωγὰς καὶ τὰ οἰκεῖα πάθη). Zeller traduit très bien ce mot en allemand par Richtung (op. cit., p. 28, 4). Nous ne trouvons pas d’équivalent en français : force nous est d’employer le mot système, en indiquant toutefois en quel sens particulier il faut l’entendre. Cf. sur ce point Haas, p. 11.