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LIVRE III. — CHAPITRE III.

de la science. Ceux qui croient à la science la considèrent comme la découverte des causes ou comme un ensemble de démonstrations s’imposant nécessairement à l’esprit. Il n’y a point, il ne peut y avoir de causes, répond Ænésidème. Il n’y a pas non plus, il ne peut y avoir de relations nécessaires entre nos idées, et, par suite, il n’y a point de démonstration. C’est, on ne peut s’empêcher de le remarquer, précisément la même suite d’idées que Hume défendit plus tard. Mais nous devons d’abord exposer sans commentaires la doctrine d’Ænésidème sur ces trots points capitaux : il n’y a point de vérité ; il n’y a point de causes ; il n’y a point de démonstrations, ou, comme on disait alors, il n’y a point de signes.


1o  De la vérité. — Sextus[1] nous donne, non le texte même, mais le sens de l’argumentation d’Ænésidème.

Si le vrai est quelque chose, il est sensible, ou intelligible, ou l’un et l’autre à la fois, ou ni l’un ni l’autre. Or tout cela est impossible.

Le vrai n’est pas sensible, car les choses sensibles sont génériques, comme les ressemblances communes à plusieurs individus : tels l’homme et le cheval, qu’on retrouve dans tous les hommes et dans tous les chevaux ; ou spécifiques, comme les qualités propres à tel ou tel, à Dion ou à Théon. Si donc le vrai est chose sensible, il faut qu’il soit générique ou spécifique : or il n’est ni générique[2], ni spécifique. D’ailleurs, ce qui est visible peut être perçu par la vue, ce qui est sonore, par l’ouïe ; de même, tout ce qui est sensible est perçu en général à l’aide d’un

  1. M. VIII, 40-48 : Δυνάμει δὲ καὶ ὁ Αἰνησίδημος… ἀπορίας τίθησιν.
  2. Pourquoi ? Le texte ne le dit pas. Suivant Fabricius, le vrai, perçu par les sens, n’est pas un genre, parce que les sens ne perçoivent pas l’universel ; il n’est pas non plus une qualité spécifique, parce que les sens ne perçoivent jamais ce qui est propre à un être, mais seulement les qualités communes à tous. Il nous semble plus simple d’interpréter ainsi la pensée d’Ænésidème : Le vrai n’est pas un genre, car ce n’est pas une propriété qui caractérise une classe d’êtres à l’exclusion des autres : toutes les choses sensibles peuvent être vraies. Et ce n’est pas non plus la propriété de tel ou tel objet, pour la même raison.