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ÆNÉSIDÈME. — SON SCEPTICISME.

sens. Mais le vrai[1] n’est pas perçu en général à l’aide d’un sens, car la sensation est par elle-même dénuée de raison ; or on ne peut connaître le vrai sans raison. Le vrai n’est donc pas sensible.

Il n’est pas non plus intelligible, car aucune chose sensible ne serait vraie, ce qui est absurde. En outre, ou il sera intelligible pour tous à la fois, ou il le sera pour quelques-uns seulement. Mais il est impossible qu’il soit connu de tous à la fois, et il n’est pas connu de quelques-uns en particulier, car c’est invraisemblable, et c’est justement de quoi on dispute.

Enfin le vrai n’est pas à la fois sensible et intelligible. Car ou bien on dira que toute chose sensible et toute chose intelligible sont vraies, ou bien certaines choses sensibles seulement, ou bien certaines choses intelligibles. Or on ne peut dire que toute chose sensible et toute chose intelligible soient vraies, car les choses sensibles sont en contradiction avec les choses sensibles, les choses intelligibles avec les choses intelligibles, et réciproquement, les sensibles avec les intelligibles, et les intelligibles avec les sensibles. Et il faudra, si tout est vrai, que la même chose soit et ne soit pas, soit vraie et fausse en même temps. Il ne se peut pas non plus que quelques-unes des choses sensibles soient vraies, ou quelques-unes des choses intelligibles, car c’est précisément de quoi on dispute. D’ailleurs, il est logique de dire que toutes les choses sensibles sont ou vraies ou fausses, car, en tant que sensibles, elles sont toutes semblables : l’une ne l’est pas plus, l’autre moins. Et il en est de même des choses intelligibles : toutes sont également intelligibles. Mais il est absurde de dire que toute chose sensible ou toute chose intelligible soit vraie. Donc le vrai n’est pas.


2o  De la causalité. — C’est encore Sextus[2] qui nous

  1. Il nous semble évident qu'il faut faire de ἀληθὲς le sujet de γνωρίζεται (43) : à moins qu'au lieu de οὕτω καὶ τὸ αἰσθητὸν κοινῶς αἰσθήσει γνωρίσεται on ne lise : οὕτω καὶ τὸ ἀληθές
  2. M., IX, 218-227. Cf. Diog., IX, 97, 98, 99.