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LIVRE III. — CHAPITRE V.

CHAPITRE V.

ÆNÉSIDÈME. — EXAMEN CRITIQUE.


Les arguments d’Ænésidème produisent sur l’esprit une singulière impression. Si on consulte le bon sens, si on voit où l’on va, on résiste énergiquement ; si on considère les raisons invoquées, elles sont claires, simples, irréprochablement enchaînées : on hésite, on est inquiet ; on se demande si ce n’est pas le bon sens qui a tort et le sceptique qui a raison. Tour à tour, suivant le biais par où on la prend, l’argumentation paraît irrésistible ou ridicule : elle est comme le caméléon, que les sceptiques prennent volontiers pour exemple, et qui change souvent de couleur si on le regarde longtemps. Il faut pourtant tâcher d’y voir clair : c’est chose trop facile d’écarter un raisonnement sous prétexte qu’il est faux, sans marquer en quoi il l’est. Cette poursuite du sophisme, que Platon, dans un cas analogue, comparaît à une chasse difficile, où un animal fort adroit met plus d’une fois sur les dents le téméraire qui le poursuit, a quelque chose à la fois d’irritant et de captivant ; elle est surtout dangereuse pour celui qui l’entreprend : c’est une véritable aventure. Le moindre des risques que l’on court est d’être accusé de subtilité.


I. Voici le raisonnement d’Ænésidème sur la vérité réduit à sa plus simple expression. Toute chose est sensible ou intelligible : donc le vrai, s’il existe, sera sensible ou intelligible. Or, il n’est ni l’un, ni l’autre, ni tous deux à la fois : donc il n’est pas. Ce raisonnement semble irréprochable. C’est un sophisme. Où est la faute ? Il y a, si nous ne nous trompons, un double artifice, une double équivoque.

En premier lieu, le sceptique transforme illégitimement des