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LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

prémisses sont données comme de simples apparences, tout ce qu’on en tirera ne sera qu’apparence et on n’aura pas atteint le véritable but de la démonstration. Vouloir atteindre par ce moyen la réalité ou l’être, c’est le fait de gens qui renoncent à se servir du seul raisonnement, et s’emparent violemment de ce qui n’est pas nécessaire, mais seulement possible.

À vrai dire, c’est d’hypothèses de cette sorte que les dogmatistes font dériver toutes leurs démonstrations et toute leur philosophie. Mais, outre qu’à une hypothèse on peut toujours opposer une hypothèse contraire, ce qu’on pose par hypothèse est vrai ou faux. Si c’est vrai, à quoi bon recourir à l’hypothèse ? c’est faire tort à la vérité. Si c’est faux, c’est faire tort à la nature : et le reste sera faux aussi. Dira-t-on qu’il suffit de tirer rigoureusement d’une hypothèse ce qu’elle contient ? Mais à ce compte, si on commence par supposer que trois est égal à quatre, on pourra démontrer que six est égal à huit. Puis, à quoi bon ce détour ? À tant faire que de recourir à des hypothèses, mieux vaudrait supposer tout de suite que ce qu’on veut prouver est certain. On dira peut-être que l’hypothèse est justifiée par ce fait que les conséquences correctement tirées sont conformes à la réalité ? Mais comment prouver la vérité de ces conséquences, puisqu’elles ne sont elles-mêmes justifiées que par les prémisses ? Et combien de fois n’arrive-t-il pas que de prémisses fausses on tire des conclusions qui se trouvent être vraies ?

Des difficultés particulières peuvent être soulevées au sujet du syllogisme dont les dogmatistes sont si fiers. Quand on dit que tout homme est animal, on ne le sait que parce que Socrate, Platon, Dion, étaient à la fois des hommes et des animaux. Si donc on ajoute : Socrate est homme, donc il est un animal, on commet une pétition de principe ; car la majeure ne serait pas vraie si la conclusion n’était déjà tenue pour telle[1].

Il n’y a pas non plus d’induction. On veut trouver l’universel à l’aide des cas particuliers (ἀπὸ τῶν κατὰ μέρος πιστοῦσθαι τὸ

  1. P., II, 196.