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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

De plus, une chose ne peut être passive que par soustraction, addition ou altération. Mais la soustraction est chose inintelligible[1]. Les mathématiciens se moquent du monde ; car ils parlent de couper en deux une ligne droite. La ligne, suivant eux, est composée de points : comment s’y prendre pour couper une ligne composée d’un nombre impair de points, de neuf par exemple ? On ne peut diviser le cinquième point, puisque le point est sans étendue ; et si on ne le divise pas, les deux parties, au lieu d’être égales, auront l’une quatre, l’autre cinq points. Pour la même raison on ne peut diviser un cercle en deux, et une ligne droite ne peut en couper une autre. Ainsi encore on ne peut retrancher un nombre d’un autre, par exemple cinq de six. Car pour retrancher une chose d’une autre, il faut qu’elle y soit contenue. Mais si cinq est contenu en six, quatre sera contenu en cinq, trois en quatre, deux en trois, un en deux : ajoutez tout cela, et vous trouvez que six contient quinze, et que cinq contient dix. On pourrait montrer ainsi, observe judicieusement Sextus, que le nombre six renferme une infinité de nombres. Et voilà pourquoi la soustraction est impossible.

On nous dispensera d’insister sur les raisons analogues qui prouvent que l’addition et l’altération sont impossibles.

Le tout et la partie sont aussi inintelligibles[2]. Si le tout existe, ou bien il est distinct des parties, il a une existence propre et indépendante, ou il n’est que l’ensemble des parties. Mais il n’est pas distinct des parties ; car si on supprime les parties, il n’est plus : il suffit même pour le faire disparaître d’enlever une seule partie. Le tout ne peut d’ailleurs être défini que dans sa relation avec les parties. Et si ce sont les parties qui forment le tout, dira-t-on que ce sont toutes les parties, ou seulement quelques-unes ? Dans ce dernier cas il y aurait des parties qui ne seraient pas des parties du tout, ce qui est absurde. De plus, il faudrait renoncer à définir le tout comme on le fait d’ordinaire, une chose à laquelle ne manque aucune de ses parties. Si

  1. M., IX, 283.
  2. M., IX, 338.