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L’EMPIRISME. — PARTIE CONSTRUCTIVE.

à ce mot ceux qui l’ont inventé. Les uns sont sceptiques en métaphysique, les autres ne sont sceptiques qu’en métaphysique : c’est bien près d’être la même chose.

Il y a toutefois des différences qu’il ne faut pas omettre. Les sceptiques usent et abusent de la dialectique d’une manière que ne saurait approuver aucun positiviste. Par là, ils tiennent encore aux doctrines qu’ils combattent : c’est en métaphysiciens qu’ils luttent contre la métaphysique. C’est qu’ils n’avaient pas d’autres armes à leur disposition. Ils auraient raisonné autrement, si les progrès des sciences de la nature leur avaient fourni d’autres raisons. Mais, par des moyens différents, ils tendent au même but ; l’esprit qui les anime est le même. Pour les uns, comme pour les autres, la grande affaire est de détourner l’activité de l’esprit des études purement théoriques, pour l’amener aux questions pratiques : ils sont également utilitaires.

En outre, les thèses négatives tiennent, chez les sceptiques, bien plus de place que chez les positivistes. Les noms des doctrines sont, à cet égard, très significatifs. Les sceptiques insistent surtout sur leur doute, ils le soulignent. Les positivistes, au contraire, ont surtout la prétention d’être dogmatistes ; ce sont leurs affirmations qu’ils mettent en avant ; leurs doutes restent au second plan. Toutefois, en allant au fond des choses, on a pu se demander si leur doctrine n’est pas surtout une doctrine de négation. Mais, sans insister ici sur cette question, ce qu’il y a, à notre sens, d’essentiel dans le positivisme, c’est la ligne de démarcation qu’il a tracée entre la métaphysique et la science : c’est l’affranchissement de la science qu’il a proclamé. Nous savons bien que cette vue ne lui appartient pas en propre : Descartes avait eu le sentiment de l’indépendance de la science à l’égard de la métaphysique ; Kant en avait eu l’idée claire, et, bien avant ces philosophes, les savants du XVIIe et du XVIIIe siècle avaient fait mieux : ils avaient constitué la science sans se préoccuper des problèmes métaphysiques. Néanmoins, si les positivistes n’ont pas eu cette idée, qui n’est plus, croyons-nous, contestée par personne, ils se la sont en quelque sorte appropriée