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INTRODUCTION. — CHAPITRE II.

Comment donc se fait-il que toute une branche de l’école sceptique, la nouvelle académie, n’ait cessé de se donner comme la gardienne fidèle des traditions platoniciennes ? Et elle a trouvé créance dans l’antiquité ; car Cicéron a l’air de prendre au sérieux cette prétention, et Sextus Empiricus disserte doctement sur la question de savoir si Platon est dogmatiste ou sceptique[1]. C’est une erreur, incontestablement ; mais des hommes qui n’étaient ni privés d’intelligence ni de mauvaise foi n’ont pu se tromper sans qu’il y ait au moins une apparence qui explique leur méprise. Qu’y a-t-il donc dans la philosophie de Platon qui puisse servir de prétexte à une interprétation sceptique ?

Nous avons déjà indiqué les raisons qui obligèrent Socrate, entouré d’adversaires si habiles, à n’avancer qu’avec prudence, à ne rien affirmer qu’avec ménagements, et en faisant toutes sortes de réserves. Platon prend naturellement, surtout quand il fait parler Socrate, les mêmes précautions. De là dans ses dialogues nombre de passages où il semble hésiter, où il se sert de formules dubitatives : « affirmer, dit-il[2] après avoir exposé le mythe du Phédon, que les choses sont telles que je les ai décrites ne conviendrait pas à un homme sensé. » — « Dans ses ouvrages, dit à son tour Cicéron[3], Platon n’affirme rien : il discute le pour et le contre, hésite sur toutes les questions, ne dit rien de certain. » Mais, visiblement, Cicéron exagère. Dans le passage que nous venons de citer, Platon fait les réserves que tout homme raisonnable doit faire et peut faire sans rien concéder au scepticisme. Est-ce douter de la vérité que de dire : Dieu seul peut la connaître tout entière[4] ; ou encore : pendant sa vie mortelle l’âme ne peut en avoir la pure intuition[5], et enfin qu’elle ne peut être entrevue qu’à de rares moments et

  1. P., I, 222.
  2. Phæd., 114, D.
  3. Ac., I, xii, 46. Cf. II, xxiii, 74.
  4. Parm., 134, C.
  5. Phæd., 66, B.