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CONCLUSION.

prend rien par lui-même. Il est inutile d’insister sar ce point, cent fois mis en lumière.

Strictement parlant, si l’on veut rester fidèle au principe d’identité, le raisonnement est impossible. D’une chose ou d’un terme on ne peut tirer que cette chose ou ce terme. Dès lors, il faut choisir : ou renoncer à l’application rigoureuse du principe d’identité, par conséquent au raisonnement, car on affirmera entre les choses des rapports constatés rationnellement ou empiriquement, mais non démontrés ; la vérité sera dans les prémisses, non dans le raisonnement ; ou s’en tenir strictement au principe d’identité, et alors l’esprit est enfermé dans chaque définition, il est prisonnier de ses idées ; tous les éléments de la pensée sont isolés les uns des autres, réfractaires à toute combinaison, matériaux inutiles d’une science qui ne se fera jamais.

À vrai dire, cet argument n’appartient pas en propre aux sceptiques. Les éléates, les sophistes, les mégariques s’en étaient servis avant eux ; mais l’ancienneté d’un argument n’ôte rien à sa valeur. Platon lui-même en avait été vivement frappé ; c’est probablement pour résoudre cette difficulté qu’il écrivit le Parménide et le Sophiste. Il avait bien vu que proclamer la valeur absolue et sans réserves du principe d’identité, c’est rendre la science impossible ; aussi admettait-il la participation des idées, c’est-à-dire l’union, constatée comme une loi primordiale et irréductible, mais non déduite ni justifiée analytiquement, d’idées ou de choses différentes les unes des autres, identifiées néanmoins sous certains rapports. Mais quoi ! déclarer que des choses différentes, le sujet et l’attribut d’un jugement, par exemple, ne font qu’un ; qu’une chose est la même qu’une autre ; que cette chose n’est pas ce qu’elle est, puisqu’elle en est en même temps une autre, n’est-ce pas fouler aux pieds la loi suprême de la pensée ? Platon eut pleine conscience du scandale logique auquel il était conduit ; avec la décision des grands esprits, il en prit son parti et, par la formule dont il se servit, il eut soin de souligner, de mettre en lumière la hardiesse de sa doctrine. « Il faut, pour nous défendre, soumettre à l’épreuve la parole de notre père Parmé-