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CONCLUSION.

on peut constater qu’une cause produit un effet : on ne saurait prévoir l’effet dans la cause ; on ne peut l’en déduire. Cependant, comme cette action transitive de la cause est représentée comme nécessaire, il arrive fréquemment qu’on la confonde avec la relation d’identité, nécessaire, elle aussi, quoique d’une manière fort différente. On raisonne sur la cause pour en déduire les effets, comme sur une définition pour en déduire les conséquences ; on ne prend pas garde que, si ces effets n’étaient connus d’avance par d’autres moyens, on ne saurait les prévoir ; par suite, que la déduction n’est qu’apparente. Hume[1], le premier, Kant surtout, par la célèbre distinction des jugements analytiques et des jugements synthétiques, nous ont mis en garde contre ce défaut. Les grands philosophes n’y sont d’ailleurs pas tombés. Dans la physique de Descartes, dans celle de Malebranche, dans toute la philosophie de Spinoza, la notion de cause transitive ne joue aucun rôle.

Les sceptiques, qui faisaient fort bien cette distinction, consacraient, on l’a vu, à la causalité toute une série d’arguments particuliers. D’abord l’existence des causes telles que les entend naïvement le vulgaire, la réalité hors de nous de choses qui, sans rapport ni avec d’autres choses ni avec l’esprit, seraient des causes, est manifestement impossible. Une chose ne saurait être par elle-même une cause : elle ne devient telle que si elle a un effet. En d’autres termes, la causalité est un rapport, et non une chose en soi, elle fait partie des choses relatives, τῶν πρός τι. Aucune contestation sérieuse n’est possible sur ce point.

Mais, s’il en est ainsi, la causalité ne peut rien nous apprendre sur la nature des choses. L’ambition de la science serait d’expliquer les effets par les causes ; mais voilà que nous ne pouvons connaître les causes que quand les effets nous sont connus, car un rapport ne se conçoit pas sans les termes qu’il unit. C’est parce que l’effet est donné que nous saisissons la cause ; il ne faut donc pas dire que nous allons des causes aux

  1. Traité de la nat. hum., III, 3, p. 108, trad. Renouvier et Pillon. Paris, 1878.