Aller au contenu

Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
402
CONCLUSION.

qui font produit, ni les effets qu’il produira à son tour ; et notre raison, dénuée du secours de l’expérience, ne tirera jamais la moindre induction qui concerne les faits et les réalités.

« Cette proposition : Que ce n’est pas la raison, mais l’expérience, qui nous instruit des causes et des effets, est admise sans difficulté toutes les fois que nous nous souvenons du temps où les objets dont il s’agit nous étaient entièrement inconnus, puisque alors nous nous rappelons l’incapacité totale où nous étions de prédire, à leur première vue, les effets qui en devaient résulter. Montrez deux pièces de marbre poli à un homme qui ait autant de bon sens et de raison qu’on en peut avoir, mais qui n’ait aucune teinture de philosophie naturelle ; il ne découvrira jamais qu’elles s’attacheront l’une à l’autre avec une force qui ne permettra pas de les séparer en ligne directe sans faire de très grands efforts, pendant qu’elles ne résisteront que légèrement aux pressions latérales. On attribue aussi sans peine à l’expérience la découverte de ces événements qui ont peu d’analogie avec le cours connu de la nature : personne ne s’imagine que l’explosion de la poudre à canon ou l’attraction de l’aimant eussent pu être prévues en raisonnant a priori. Il en est de même lorsque les effets dépendent d’un mécanisme fort compliqué ou d’une structure cachée : en ce cas encore on revient à l’expérience. Qui se vantera de pouvoir expliquer par des raisons tirées des premiers principes pourquoi le lait et le pain sont des nourritures propres pour l’homme et n’en sont pas pour le lion ou pour le tigre ? »

Qu’on veuille bien le remarquer : ce passage de Hume n’est pas nécessairement lié à la théorie du même philosophe suivant laquelle l’idée de causalité transitive serait sans objet, parce qu’elle ne correspond à aucune impression sensible. Admettons, si l’on veut, la théorie de Maine de Biran : déclarons que l’idée de cause nous est suggérée par la conscience de l’effort, que le moi se connaît lui-même comme cause active. Mais une fois en possession de cette notion, quel besoin avons-nous de la transporter hors de nous ? Quelle nécessité nous contraint